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« Les Enchanteurs » (The Enchanters), de James Ellroy, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sophie Aslanides et Séverine Weiss, Rivages, « Noir », 672 p., 26 €, numérique 20 €.
On l’imagine volontiers troquant ses éternelles chemises à fleurs pour un tablier de médecin légiste ; et son stylo – il écrit toujours à la main – contre un bistouri. Depuis quarante ans, le docteur James Ellroy poursuit inlassablement sa tâche : disséquer encore et toujours le grand cadavre du rêve américain.
Il avait déjà autopsié les années Kennedy dans American Tabloïd (Rivages, comme tous ses livres, 1995), sondé les entrailles d’une police brutale et corrompue dans les années 1940 et 1950 avec son Quatuor de Los Angeles (1988-1991). Et même dépiauté le mythe du serial killer, moins génie du crime que paumé sanguinaire (Un tueur sur la route, 1986). Avec Les Enchanteurs, troisième volet d’une série de cinq ouvrages prévus sur le Los Angeles de l’après-guerre (après Perfidia, 2015, et La Tempête qui vient, 2019), Ellroy affûte son scalpel et crève les abcès d’un Hollywood en plein âge d’or finissant, capitale du vice en voie de décomposition avancée, où Orson Welles photographie les ébats de stars de cinéma pour confectionner des jeux de cartes porno vendus sous le manteau.
En greffier compulsif de ces turpitudes, voici Freddy Otash, flic défroqué et voyeur invétéré, camé notoire devenu le personnage fétiche d’Ellroy après avoir été l’antihéros de sa novella Extorsion (2014) puis de Panique générale (2022). Au cœur de l’été 1962, alors que le cadavre de Marilyn Monroe est encore tiède, après une overdose de barbituriques, Otash est chargé par Robert Kennedy, procureur général des Etats-Unis, d’une mission délicate : discréditer la comédienne jusque dans la tombe pour effacer toute trace des « coucheries suicidaires » de son président de frère, John Fitzgerald Kennedy, dont elle était la maîtresse. L’enquête de « Freddy O » est consignée dans un journal intime halluciné où son regard, telle une « caméra humaine », se promène des villas cossues aux « baisodromes clandestins » de la pègre.
« J’ai une mémoire photographique. Je vois et j’imprime des choses que personne d’autre ne voit », professe cet expert en espionnage et ragots fatals, double d’un auteur lui aussi travaillé par le souci du détail. Miniaturiste des passions humaines et des rédemptions contrariées, Ellroy ne se réinvente pas, et c’est tant mieux. Quand la soupe est bonne, pourquoi en modifier la recette au profit de quelque brouet « revisité » ? On retrouve dans Les Enchanteurs son débit staccato ponctué d’allitérations. Ou ses figures de style qui, loin de relever d’une quelconque affèterie, parodient les feuilles de chou semi-clandestines des années 1950 et 1960 pour mieux immerger son lecteur dans les outrances de l’époque. De cette licence assumée, l’auteur tire le portrait d’une Marilyn en « fabulatrice maladroite », proie de « fantasmes criminels bizarres », ou rectifie celui de « JFK », président priapique qui « tire son coup en deux minutes » et « prévoit une heure pour ses rendez-vous, Martini, club-sandwich et papotage compris ».
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